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Nuit de cristal à Montmartre.

Le 10/11/2022

                                      Nuit de cristal

 

 

 

Ce soir-là, une grosse lune éclairait si bien la rue, qu’elle rendait accessoires les réverbères, posés en rangs d’oigVieille rue de montmartrenons,

 

 

 

 

 

 

 

 

comme pour planter le décor d’un film.

Montmartre la nuit, la butte sans ses touristes, sans ses bruits et avec seulement au coin d’un porche, les notes aigres d’un pauvre musicien affaissé sur son piano à bretelles, Montmartre endormi, avec toute sa richesse et sa profonde misère ! Quelle merveille, se disait-il !

Perrotin avançait, le regard déterminé, ce soir il était fier car, il avait pris seul sa décision, une véritable décision d’homme.

Alors c’est ça, elle ne voulait pas de cet enfant ? Eh bien, tant pis ! Tant pis pour elle ! C’est lui qui se chargerait de déposer le colis en un lieu où il savait qu’on s’occuperait du bébé. Surtout qu’il n’avait pas de gros efforts à faire, c’était tout près, à deux rues de chez lui, au couvent de la rue Norvins.

Il se souvint de cette chanson nostalgique de Jean Renoir, interprétée par le sublime Mouloudji. C’est vrai qu’à Montmartre, la pente était dure !

—J’ai trop mangé et en plus, le poids de ce gosse ! Je souffle comme un bœuf.

Une borne en pierre accueillit son généreux postérieur, le nourrisson dormait et lui se sentait bien. Il murmura dans la nuit.

—Et si je le gardais, pour moi, juste pour moi. Je louerais un appartement…

Perfide, la petite voix intérieure lui siffla à l’oreille.

—Tu ne vas pas nous faire croire que tu serais capable de ça ! N’oublie pas qui tu es ! Je te le répète, tu es un lâche et un lâche ne peut pas…

—Ta gueule !

Il se releva péniblement de sa borne et en se retournant il s’aperçut qu’il tournait le dos à la porte cochère du musée de Montmartre.

—En route Perrotin ! Ce n’est pas l’heure de visiter.

Un peu plus loin, en levant les yeux, il fût impressionné par la grande tour presque fantomatique du château d’eau de Montmartre.

— Quand je rentre du bureau, ce château d’eau, je ne le vois pratiquement jamais, alors que ce soir, dans cette nuit de cristal, il me paraît immense, impressionnant et presque inquiétant !

Quelques pas encore, il frissonna.

—Voici la plaque, le début de la rue des Saules, on arrive. Encore deux cent mètres et tu seras chez toi, mon petit gars. Dire que je ne connais même pas ton nom et que je ne sais pas non plus si tu es une fille ou un garçon !

Arrivé rue Norvins, Il s’arrêta devant la porte d’honneur du vieux couvent, les yeux dans le vague, un peu comme s’il s’interrogeait encore ! Non, l’aventure était terminée, c’était fini et il n’avait rien d’autre à faire qu’à déposer son colis de minuit. D’ailleurs, lents et solennels, tout près de lui, les douze coups grondaient sous le clocher du Sacré-Cœur, il se retourna et, une fois encore, son salaud de censeur, lui susurra.

—C’est la troisième fois que je te le dis, Perrotin, mais je le répète encore, au cas où tu ne m’aurais pas entendu, tu es un putain de lâche !

Contrarié par cette pensée et sans commentaire, il se retourna vers la rue, sans un regard pour le cageot.

Le nourrisson, peut-être se sentant une nouvelle fois abandonné, s’éveilla en bousculant sa couverture et, jugeant qu’il avait faim, se mit à hurler, au point d’en couvrir les derniers coups de la cloche. Perrotin ajusta alors son manteau et se hâta vers son logis.

 Finalement, pour lui, cette histoire se terminait plutôt bien.

Un matin de septembre, à Montmatre...

Le 08/11/2022

 

Neuf heures, ce matin-là, Paris, place du tertre.

   En bas, on discerne à peine la ville, cachée sous un plafond de grisaille. Le ciel, gris comme souvent en septembre, diffuse dans les rues, une ambiance morose… un jour de catastrophe !

 Ici, ça ne rigole pas, sur la place, on est organisé.

 Solidement planté à son poste, chacun défend son territoire, trois mètres carrés de bitume où traînent les papiers d’emballage de la veille, une misère qui leur a été concédé par les nervis de la mairie, contre quelques pièces, les autorisant à poser leurs meubles de misère ; le chevalet bariolé de peinture, le tabouret en bois de hêtre et la grande palette multicolore qui attire le client autant qu’un miroir aux alouettes.

C’est un matin d’aujourd’hui, un matin banal comme le fût celui d’hier et comme le sera assurément, celui de demain.

Traditionnellement, à cette heure, on ne parle pas, chacun se contente de rouler quelques grammes de tabac gris dans une feuille de papier Job et boit, en se brûlant les lèvres, cette boisson improbable et amère, qu’on persiste à vouloir appeler café.

Les ventes, ce n’est pas l’heure, pas encore ! Les touristes et les bobos de tous poils envahiront la butte plus tard, pas avant quatorze ou quinze heures.

 Malgré-tout, les rues attenantes s’animent et bientôt se colorent d’affiches publicitaires. De partout rappliquent, des charretons bringuebalants où s’égosillent des vendeurs à la sauvette et, au milieu de tout ça, totalement inattendu, un groupe aux yeux bridés, traverse l’espace au pas militaire. Ils sont tous aimantés par une petite femme à la voix nasillarde qui précède la colonne en brandissant une perche flanquée du drapeau Chinois.

C’est fou, la nécessité qu’ont ces gens-là à toujours vouloir suivre un guide ! Cinq minutes plus tard, les visiteurs asiatiques ont disparus, bien qu’on les entende encore jacasser sur les marches de l’escalier qui les mènera tout en bas, près du métro Anvers. Là, soudains muets et en colonne par deux, ils s’engouffreront sagement dans un bus, qui les déposera quelques kilomètres plus loin, au pied de la tour Eiffel.

Le temps passe et un public bigarré, traîne maintenant entre les stands des portraitistes. Certains, arborant le sourire gêné de ceux qui se savent observés, s’installent timidement sur le tabouret que leur désigne le peintre et, enfin sérieux, prennent la pose…

—Cinquante euros le portrait ! Cinquante euros, c’est pas cher ! Ne tardez pas, prenez place ! Satisfait ou remboursé.

—Je peux ?

—Oui bien sûr, mademoiselle, je fais mes couleurs et vous tire le portrait. Vous verrez, ce sera plus vrai que vrai ! Comme si vous étiez une vedette de cinéma !

Beaucoup hésitent, car une dépense de cinquante euros, ça n’est pas rien ! Après-tout, cette somme, ce pourrait être, un agréable un repas à la brasserie du Moulin ou pour le même prix, le joli pull Jacquard, vu la veille au deuxième étage du Bon Marché.

On est en 2001, dans les premiers jours de septembre et après les vacances, les porte-monnaie sont raplaplas ! Beaucoup de parisiens, un peu perdus avec les nouveaux euros, passent leur chemin en maugréant.

— Cinquante balles, c’est déjà une belle somme !  Tu te rends compte ! Ils y vont fort les mecs ! Moi je ne l’ai pas ce fric ! Et d’ailleurs, si je l’avais, ce ne serait pas pour le mettre dans leur torchonnerie de coloriste.

Vaille que vaille, quelques postérieurs plus accommodants, se posent timidement sur les petits sièges et le travail de l’artiste commence, après une ultime négociation tarifaire.

                                                                                                          https://www.drto.fr

La magie de Noêl

Le 06/11/2022

 

Sous la neige... la magie de Noël

 

Dans la chaleur de l’appartement familial, Claire et Maxime terminaient leur petit déjeuner. Le jeune homme en s’essuyant la moustache écarta le voilage de la fenêtre, laissant entrer la lumière blafarde d’une rue sinistrement vide et silencieuse.

—Cette année, nous ne pourrons pas nous plaindre, nous avons un véritable hiver.

—Oui, il y a longtemps que nous n’avions pas connu Paris sous la neige et les parisiens qui en ont perdu l’habitude, sont restés sous la couette !

Alors que Claire s’attardait dans la salle de bain, Maxime feuilletait « l’Equipe » dont trois pages étaient consacrées au rugby.

Quelques instants plus tard, la jeune fille pomponnée et souriante réapparut dans le salon.

—Max, veux-tu me faire plaisir ?

— Oui, mais pas à n’importe quel prix, que vas-tu encore m’inventer ?

—J’ai envie de sortir.

Paris sous la neige—Par ce temps, tu n'es pas un peu dingue, ça caille !

—J’aimerais découvrir les décorations de Noël, dans les grands magasins, tu te souviens, lorsque nous étions petits, les parents nous y emmenaient tous les ans ?

—Aujourd’hui, les parents bossent toute la journée, ne compte pas trop sur eux !

—C’est vrai, mais je me disais…

—C’est fou, cette habitude que tu as prise.

—Quoi encore, qu’elle habitude ?

—Une fois sur deux, tu ne finis pas tes phrases !

Claire repoussa le rideau et sourit à Maxime.

—Je pensais que tu pourrais…

Interrogatif, Maxime se leva pour déposer sa tasse dans le lave-vaisselle et lorsqu’il fût de retour, il déclara à Claire en essuyant la nappe.

—Tu as des bottes pour sortir ? Tu n’as pas l’habitude de la neige et tu pourrais bien te casser une patte.

—C’est bien pour ça que j’aimerais que tu…

—Là, pas la peine de terminer, j’ai compris. Tu veux que je t’accompagne.

Comme une enfant, elle applaudit en sautillant et embrassa son frère.

—Wouah, merci Max. Pour te remercier, je t’offrirai un verre à la sortie.

—Toi tu ne changeras jamais ! Je ne t’ai pas encore répondu positivement.

—Allez Max, tu viens...

Une demi-heure plus tard, ils s’entassaient dans un métro où la moiteur des corps se mélangeait pour former une intimité délicate, de crasse, d’odeur sui généris et d’eau de Cologne incertaine.

Heureusement, beaucoup de voyageurs descendirent à la station Chatelet et, malgré ces départs, la mauvaise odeur persista. C‘est alors que Claire comprit, elle pinça son frère en lui désignant le fond du wagon où un vieux clochard dormait, étalé sur une banquette, tâchée de vin rouge.

 —Ah le cochon ! Il nous aura bien parfumés. On descend bientôt, j’ai vraiment hâte d'être ailleurs !

Claire en tenant fermement à la barre du wagon, adressa un sourire mystérieux à son frère.

—Tu connais un chanteur des années 80 qui s’appelait… attends, c'est fou, j’ai oublié son nom ! Oui c’est ça, je l’ai enfin retrouvé.

—Me voilà enfin rassuré.

Triomphale, elle lui lança.

 —Bécaud, ce chanteur s’appelait Bécaud, il chantait au moment des fêtes une « bluette » qui n’a pas laissé un grand souvenir…

—Qu’as-tu encore inventé, c’est quoi d’abord une « bluette » ?

—Une chansonnette un peu bête, mais légère et optimiste.

—Et tu l’as repéré comment, ce chanteur ?

—Oh Max, réveille-toi ! Internet, tu connais ?

Les deux jeunes sortirent du métro et pénétrèrent rapidement dans les Galeries Lafayette, "mode féminine". Très vite, leurs regards furent attirés par l’immense coupole Art Nouveau ignorée de beaucoup de parisiens.

—Franchement, ça vaut la peine de lever les yeux, c’est une splendeur, une merveille architecturale.

—C’est vrai qu’elle est magnifique cette verrière. Où allons-nous, maintenant ?

—On va faire d’abord un tour dans les allées, cette année les décorations de Noël sont somptueuses !

Au bout d’une demi-heure, ils arrivèrent devant l’espace librairie où s’étalaient des centaines de romans et surtout des montagnes de livres de cuisine.

—Les français sont toujours avides de gastronomie.

—Max arrète !  C'est toi qui es un tube digestif ambulant !

Claire, dépassée par cette profusion littéraire, se mit à fureter, jetant un œil rapide sur les couvertures et leur quatrième de « couve » dont le miel était la « bobine » souriante de celle ou de celui qui avait eu l’audace de coucher 300 pages sur son clavier ! Elle mit un coup dans les côtes de Maxime pour le réveiller.

—Un roman soigneusement choisi, c’est un cadeau intelligent pour les fêtes ! Un présent réservé à celle ou celui qu’on estime

Maxime pouffa de rire.

—Oui certainement, surtout si ce n’est pas un pavé casse-pieds devant lequel on ne peut pas faire autre chose que de s’endormir à la quatrième page !

Elle le toisa, l’œil noir et lui répondit.

—Acheter un livre pour quelqu'un, un roman qui sera son cadeau pour Noël et pour les fêtes en général, c’est bien si le roman est intelligent. Regarde celui-là, sa couverture est un peu terne, mais il faut dire que c’est la nuit…

—Hum.

Il lut les quelques lignes de présentation.

—Le thème, c’est celui de l’abandon d’une enfant d’à peine un mois dans la nuit du 11 septembre 2001.

-- La nuit du terrible l’attentat de Manhattan ? 

—Il s’appelle comment, ton roman ?

—Le colis de minuit.

—Bon, prends-le ! Tu leur fait faire un paquet cadeau. Dépêche-toi, nous aurons juste le temps de nous acheter un sandwich et ensuite, d’aller au Printemps.

Publication du colis de minuit en numérique

Le 29/10/2022

 

Très bonne nouvelle ! Le roman, le colis de minuit est désormais publié sur les plateformes et sur le site le Lys Bleu, en format broché et numérique.

Toufik

Le 28/10/2022

 

                                             Toufik de Montmartre.                                       

Ce soir-là, il remontait de la cave, lourdement chargé d’une caisse de Beaujolais qu’il destinait au comptoir. En posant son fardeau sur le carrelage, il fût attiré par un bruit bizarre, une sorte de froissement, de faible gémissement, dont il ne comprit pas la nature. Pas de client dans son bistrot et dehors, la rue, plongée dans la faible lueur des vieux réverbères était déserte. Toufik, interloqué inspecta les dessous de tables et finit par pénétrer derrière son comptoir où là, il sursauta de stupeur.

Dans un cageot et protégé par une couverture plus que douteuse, s’agitait un petit être, un bébé, pas très gros, un nourrisson d’un mois à peine.

 Il jura, sentant bien qu’il venait de se faire avoir.

—Qui c’est la salope qui m’a déposé ce colis piégé ! Moi, il n’est pas question que je prenne ce gosse à la maison, des moufflets, j’en ai assez ! Six enfants dans un trois pièces, ça me suffit !

Dehors, il faisait froid, il réfléchit un moment pendant qu’il fermait sa boutique et finit par décider qu’il déposerait l’enfant, avec une couverture supplémentaire devant un des hôtels particuliers de la rue Cortot et qu’il tirerait la sonnette pour prévenir le personnel de cette livraison spéciale !

—Ils ont du fric dans ces belles baraques et eux ils pourront s’en occuper ! Moi, ce n’est pas possible, même si je voulais, je ne pourrais pas.

Il traîna dans le quartier, désert à cette heure tardive, hésitant à poser son paquet ici, puis quelques mètres plus loin et enfin, il se trouva face à une belle maison dont les fenêtres sur la rue étaient éclairées. Après une ultime hésitation, il en poussa la grille, déposa l’enfant à l’abri du porche et tira vigoureusement la sonnette avant de s’enfuir en courant.

—J’ai pas intérêt à traîner, on dirait que ce soir tous ces bourgeois sortis d'un roman de Balzac, ne sont pas sous les draps !

 Il trébucha sur un pavé descellé, échappant de peu à la chûte.

---Cet enfant abandonné, je suis certain que c'est un coup de cet enfoiré de Jacky, ce putain de dealer de "Dope", celui qui, à Clignancourt, se fait appeler "Jacky la "Coke en promo"...

Un matin, à Montmarte

Le 17/10/2022

 

la place du tertre - place du tertre photos et images de collection

Neuf heures, ce matin-là, Paris, place du tertre.

   En bas, on discerne à peine la ville, cachée sous un plafond de grisaille. Le ciel, gris comme souvent en septembre, diffuse dans les rues, une ambiance morose… un jour de catastrophe !

 Ici, ça ne rigole pas, sur la place, on est organisé.

 Solidement planté à son poste, chacun défend son territoire, trois mètres carrés de bitume où traînent les papiers d’emballage de la veille, une misère qui leur a été concédé par les nervis de la mairie, contre quelques pièces, les autorisant à poser leurs meubles de misère ; le chevalet bariolé de peinture, le tabouret en bois de hêtre et la grande palette multicolore qui attire le client autant qu’un miroir aux alouettes.

C’est un matin d’aujourd’hui, un matin banal comme le fût celui d’hier et comme le sera assurément, celui de demain.

Traditionnellement, à cette heure, on ne parle pas, chacun se contente de rouler quelques grammes de tabac gris dans une feuille de papier Job et boit, en se brûlant les lèvres, cette boisson improbable et amère, qu’on persiste à vouloir appeler café.

 

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Au confessionnal

Le 13/10/2022

 

Pour elle, c’était une nécessité, un rite immuable. Chaque semaine, elle se retrouvait agenouillée sur le même prie-Dieu, le dos tourné au confessionnal et attendait l’arrivée de celui qu’elle espérait entendre.

 Priait-elle ? Oui certes ! Elle priait pour que ce jour-là, son confesseur ne soit pas absent… La douceur de sa voix, ses silences profonds et la fraîcheur de son haleine perçue au travers des croisillons... sœur Constance avait besoin de tout ce qui émanait de lui.Image du confessionnal              

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La femme caïman

Le 03/10/2022

                                                                                La femme caïman.

 

 

—Maintenant que tu m’en parles, je m’en souviens, c’était à Cannes, un jour vers 17 heures. Nous sortions d’une galerie de tableau, située à quelques mètres de cette brasserie chic sur la croisette et les jambes, un peu alourdies par le piétinement incessant de cette journée de visite, nous nous sommes installés en terrasse, en attendant l’arrivée d’une amie.

—C’est ça ! Souviens-toi, nous avions jeté un œil sur une toile de Maurice Utrillo, une œuvre trop parfaite pour être vraie.

—Pour ces messieurs-dames, ce sera ?

—Deux thés glacés s’il vous plaît avec deux tartelettes aux pommes.

—Parfait, je vous amène le thé et les pâtisseries.

Pour une fois, Léa était à l’heure. Elle prit un siège en commandant un café.

—Belle journée ! Je sors du syndicat d’initiative où je me suis renseignée sur les choses possibles à voir par les touristes du week-end que nous sommes.

C’est alors que je me retournais et vit, assis derrière moi, un personnage silencieux, étrange et immobile. C’était une femme âgée qui fixait la mer dans son lointain sans n’y voir autre chose que son triste passé. Elle sirotait à petits traits un cocktail à la mode des années 80, de couleur bleue. Ce blue lagoon tranchait étrangement avec le métal de ses yeux verts, sans expression.

Mais, ce qu’un seul regard ne pourrait jamais oublier, c’était sa peau, une peau tannée par des heures, des mois et même des années de surexposition solaire. La peau d’un vieux reptile assoupi.

Des rides profondes parcouraient son visage semblant en être la triste armature et toujours ce regard inexpressif… D’une élégance à la mode ancienne, elle semblait plongée dans un étrange sommeil, bien qu’on comprenne vite qu’elle dormait aux aguets.

Cinq minutes plus tard, je me retournais à nouveau et constatais que son siège était vide.

Je réglais alors le garçon en lui demandant.

—Vous connaissez la dame qui était assise derrière moi ?

—Bien sûr ! Qui ne connaît pas la comtesse, sur la Croisette !

—Moi, je le crains !

—La comtesse Kalinska serait une noble descendante du tsar Nicolas II et elle vit en France depuis très longtemps. Il se dit même qu’elle serait arrivée dans notre pays cachée dans le coffre d’une calèche, encore bébé.

—Oui, ce n’était pas hier !

Il revint après avoir encaissé une commande d’Irish coffee.

 —Après une vie tumultueuse où elle aurait survécu en pratiquant tous les métiers et elle aurait atterrit à Cannes dont elle n’aurait jamais bougé.

Le garçon s’inclina devant une starlette qui ondulait sur le trottoir et poursuivit.

 —La comtesse loue une chambre à l’année à l’hôtel que vous voyez sur la place et très régulièrement, elle passe chez nous vers 16 h 30 où elle nous commande un verre.

—Elle me semble très seule.

—Seule, oui et non, en fait, elle connaît beaucoup de monde, surtout dans la communauté russe de notre ville.

—Des descendants d’émigrés ayant quitté la Russie après la révolution bolchevique ?

—C’est ça, des cuisiniers, des chauffeurs de taxi ou des employés d’hôtel, tous Russes ou Ukrainiens ! Mais on m’a raconté aussi qu’elle aurait perdu son amant, un sous-lieutenant embarqué sur un navire Ukrainien, l’homme se serait noyé en mer noire, à quelques encablures d’Odessa.

—Noyé ! Un officier de marine qui aurait péri en mer alors que précisément, la mer était son univers ? Cette hypothèse sur la fin tragique de son beau navigateur n’a pas dû être facilement comprise par la comtesse ! Ruiné, humilié, il s’est suicidé.

Le garçon réapparut, son plateau chargé de vaisselle et conclut.

—Cette histoire est-elle vraie ou a-t-elle été inventée, moi je n’en sais rien ! Ce que je vois c’est qu’on l’appelle la comtesse et qu’elle commande tous les jours un cocktail en regardant la mer…

—Elle m’a tout de site évoqué un crocodile qui attendrait sa proie.

—Elle aurait un désir de vengeance en se souvenant des méandres de sa triste vie ?

—J’ai vu dans son sac briller un pistolet en argent…